CARNET DE VOYAGE

Tel-Aviv

    Joanna Thevenot et Christophe Garnier
Par Christophe-Cécil Garnier et Joanna Thevenot

En marge des manifestations des juifs éthiopiens à Tel Aviv, le gouvernement israélien fait face depuis 20 ans à un problème de l’immigration. L’absence de politique à ce sujet est compensée par des initiatives de la part de la population.

La gare routière de Tahana Mercazit est un monde dans un monde. Construite comme le plus grand complexe de transports au monde dans le quartier de Neve Sha’anan, elle regorge de boutiques atypiques dans des dédales de couloirs. Entre les contrefaçons de montres et les vendeurs de téléphones à la sauvette, une population entière vit ici. Comme un labyrinthe, les couloirs mènent à une partie désaffectée où est dissimulé un centre de culture yiddish. Véritable trésor caché, la pièce est envahie de livres donnés gracieusement par la population aux migrants africains. Oscar Olivier se tient au milieu de la pièce, bob vissé sur la tête comme pour masquer sa kippa. Ses petites lunettes dévoilent un regard timide. D’origine congolaise, il a émigré en Israël alors que son pays « devenait trop petit pour lui » il représente quatre fois la surface de France. Son parcours le mène à devenir le porte-parole des ONG, ainsi que la voix de plus de 53 000 demandeurs d’asile venant d’Afrique. Avec sagesse, il explique la situation difficile de l’immigration dans le pays alors que l’Etat ne délivre que des visas temporaires de trois mois. Selon Oscar « si on donnait un permis de travail aux demandeurs d’asile, on serait gagnant-gagnant car lorsque le chômage augmente, la criminalité aussi ». Le problème semble aussi particulièrement complexe dans un pays où les demandeurs d’asile sont prêts à faire « ce que les citoyens refusent de faire ». Le Congolais s’est donc ancré dans cette sous-société pour aider au maximum ses frères. Son cheval de bataille sont les mères célibataires africaines. Avec l’aide d’une association, il organise des cours pour leur apprendre à s’occuper de leurs enfants mais leur fournit aussi de la nourriture. Lui même père d’une fille de 11 ans, affirme que « dans un quartier où tout semble chaotique, il y a une lumière : l’école Rogozin ».

Oscar Olivier

Oscar Olivier présente une application sur la cuisine proposée aux femmes

Atypique dans le paysage éducatif israélien, l’école Bialik-Rogozin fondée en 2004 est un havre de paix pour enfants immigrés. Eli Nechama, directeur de l’école depuis 4 ans, présente l’établissement avec fierté. Il connaît le nom de tous les enfants et a un petit mot pour chacun, les plus durs lui ont depuis longtemps fait perdre ses cheveux mais il les appelle tous « mes enfants ». Plus de 1000 élèves fréquentent cet endroit hors-norme où ils apprennent à développer leurs compétences afin de s’intégrer dans la société. Seule école publique sans enfants juifs, elle est rattachée au système éducatif gouvernemental. L’équipe, ne demande cependant aucun document d’identité pour permettre à chacun d’avoir accès à l’école.

Eli Nechama, directeur de l’école Rogozin

Eli Nechama, directeur de l’école Rogozin

Avec plus de 50 nationalités mélangées, le but est de les préparer à l’avenir, peut importe ce qui leur arrivera. Plus de 36% sont des immigrés venus pour trouver du travail et plus de 15% sont des réfugiés venant principalement du Soudan et de l’Erythrée, victimes de répressions par leurs gouvernements. L’école Rogozin est la seule structure capable des les accueillir alors « qu’ils ne reçoivent pas d’Israël les services sociaux dont ils ont besoin » nous explique le directeur. Et c’est bien le problème principal. La plupart souffre de discrimination, certains ont perdu leurs parents et ont dû traverser la mer sans eux, ils viennent alors au sein de l’école et retrouvent une maison. Selon Eli Nechama, « la plupart viennent d’eux-même ». Par ces procédés révolutionnaires, l’équipe pédagogique s’est fait remarquer à de nombreuses reprises. Ils ont reçu le prix national de l’éducation mais surtout un Oscar en 2011 pour leur court métrage « Stranger no more » racontant la vie de ses élèves immigrés. On se retrouve bien loin de la débâcle politique du gouvernement avec les citoyens israéliens d’origine éthiopienne, qui ont réclamé plus de droits au début du mois de mai. « Mes étudiants sont plus chanceux que les Ethiopiens, argue le principal aux lunettes rondes. Amenez les moi, je saurais quoi faire ».

Jean-Marc Liling : « On invite les Africains à partir, mais de leur plein gré »

Jean-Marc Liling est avocat spécialisé dans les questions de droit d’asile et consultant pour l’organisation américaine Joint Distribution Comittee. En marge des manifestations récentes, il dresse les manquements de la politique d’immigration israélienne.

Jean-Marc Liling

Jean-Marc Liling

Quelle est la situation des migrants africains en Israël ?

La grande majorité des migrants africains en Israël sont des demandeurs d’asile qui viennent de l’Érythrée et du Soudan. Le gouvernement sait pertinemment qu’il ne peut pas les renvoyer de force car ils viennent de pays où ils étaient en danger. Par contre, comme il ne veut pas créer un appel d’air qui amènerait des dizaines, peut-être des centaines, de milliers d’Africains supplémentaires.

Le gouvernement rend la procédure de reconnaissance du statut extrêmement difficile et du coup créant des conditions qui doivent donner le sentiment aux Africains qu’ils ne sont pas les bienvenus. On les invite à partir, mais de leur plein gré. C’est leur situation. Ils sont perçus comme « des infiltrés », des clandestins. On voudrait créer une situation où il y ait plus ou moins d’ordre dans l’arrivage mais l’État ne se donne pas les moyens, par le biais législatif et des institutions, de les accueillir.

Si les plus vieux se disent qu’ils pourront retourner dans leurs pays quand la situation se calmera, les plus jeunes trouvent désormais que l’on peut gagner sa vie en Israël. Cela créé une ambivalence et ils ne sont plus sûrs de repartir.

Quelle image a la population des migrants ?

Cela touche la question de l’identité d’Israël en tant qu’état juif et démocratique. La société israélienne et ses institutions n’ont pas encore décidé quel contenu donner au fait d’être un état juif. Est-ce que c’est religieux ? Non. Est-ce que c’est national ? Peut-être. Est-ce un ensemble de valeurs ?

Beaucoup d’Israéliens perçoivent la question de l’état juif comme le fait d’avoir une majorité importante de juifs qui y vivent. À partir du moment où l’on réfléchit différemment la question de l’identité juive de ce pays, si on se dit que ce n’est pas une question démographique mais une question de valeurs, alors on peut envisager différemment l’accueil de non-juifs en Israël. On peut se dire que c’est peut-être une responsabilité mais aussi une valeur qui devraient être au centre de la manière dont Israël se vit et se perçoit. C’est encore un débat de société majeur et peu proche d’une résolution. De mon point de vue il en va de la responsabilité de l’état d’Israël de poser les questions difficiles.

Le gouvernement applique-t-il une politique restrictive autour de l’immigration ?

Il y a des politiques contradictoires. Pour les travailleurs immigrés, on encourage l’arrivée dans certains pays car on a besoin de main d’œuvre bon marché, notamment dans l’agriculture, l’aide à domicile et le bâtiment. Sur l’asile, cela reste très restrictif. Et en parallèle on encourage l’immigration juive. Les différents ministères ont une politique contradictoire entre leurs besoins et ceux qu’ils sont censés servir.

Quel est le pourcentage des migrants qui arrivent à rester en Israël ?

Pour l’instant vont rester ceux qui n’ont pas été conduits à choisir le départ pour des pays tiers, comme l’Ouganda et le Rwanda. On parle depuis un an et demi de 4 000 migrants qui seraient repartis « de leur plein gré », puisqu’on a un peu forcé leurs décisions. Autrement, de fait, il y a 100% de migrants qui sont encore là. La question c’est : avec quel statut ? Un pourcentage quasi-nul possède le statut de réfugié et presque autant ont la possibilité de rester ici avec le statut de résident temporaire, permanent ou comme citoyen israélien.

Les manifestations des juifs Ethiopiens ont-elles amené des éléments nouveaux sur ces questions ?

Non. À la rigueur, les Éthiopiens avaient l’impression que l’arrivée massive de nombreux Africains les desservait car on faisait l’amalgame entre eux et les Africains clandestins. Mais ils ont leurs propres demandes. Ils sont sionistes et nationalistes et veulent les mêmes droits accordés à tout le monde dans le pays. Ce sont des problèmes qui ne sont même pas parallèles. Ce sont deux populations différentes qui ont en commun de venir d’Afrique.

Contrôle immigrés Tel Aviv

Photos : Bernadette Pasquier