un débat impossible ?

Par Guillaume  GALPIN & Pierre-Yann MAZARI

L’université de Cergy-Pontoise organisait ce jeudi 6 novembre une conférence-débat sur le conflit israélo-palestinien. Une quarantaine de personnes se sont réunies pour échanger sur les difficultés à débattre en France de la situation au proche-orient. De gauche à droite : Didier Epelbaum, ancien médiateur de France 2, Alexis Bachelay, député des Hauts-de-Seine, Abdelasiem El Difraoui, journaliste et chercheur associé à l’Institut des Médias et de la Communication de Berlin, Boualem Fardjaoui, chercheur au Centre d’Etudes en Civilisation, Langues et Littérature Etrangère, Romain Badouard, modérateur. 

« Les dernières expériences de débat public ont été des défaites cuisantes », a fait remarquer Didier Epelbaum dès l’ouverture de la conférence. Un constat partagé par les autres intervenants qui sont pourtant venus partager leurs expériences pour tenter d’apporter un éclairage sur la question.

Le conflit israélo-palestinien a toujours été un débat donnant lieu à des prises de position tranchées dans l’espace public. Cet été, l’opération « Bordure protectrice » de l’armée israélienne dans la bande de Gaza a suscité de vives réactions, parfois violentes. Le gouvernement a alors interdit les manifestations de soutien aux Gazaouis tandis que les agressions antisémites et prises à partie de journalistes devenaient de plus en plus courantes.

Alexis Bachelay, député des Hauts-de-Seine, a été surpris de la « violence inouïe » qu’a pu entraîner un conflit se déroulant à des milliers de kilomètres de Paris. Lui-même s’est dit avoir été confronté à cette violence lorsque le site d’information en ligne pro-israélien JSS News a écrit qu’ « il réclamait la destruction d’Israël ». Des propos déformés qui montrent selon lui la difficulté de parler du conflit israélo-palestinien. « Chacun veut défendre sa vision en détruisant celle de l’autre, cela rend le débat impossible ».

Le mauvais traitement journalistique en cause

Didier Epelbaum, qui a longtemps couvert le conflit à Jérusalem, regrette la façon dont est désormais traité le sujet : « l’information est beaucoup moins contextualisée. A l’époque, on pouvait faire 25 minutes de page spéciale sur le conflit ». Il évoque un « paradis du journalisme » aujourd’hui disparu. Les moyens donnés et le temps accordé pour couvrir le conflit étaient alors bien plus importants.

Même constat pour Abdelasiem El Difraoui qui insiste sur le besoin de « revenir à la cause du conflit ». Le journalisme d’aujourd’hui polarise les désaccords et radicalise le conflit alors qu’il existe de nombreux « terrains d’entente entre israéliens et palestiniens ».

Il ne faut cependant pas se leurrer sur la situation extrêmement compliquée dans cette partie du Moyen-Orient. « Il n’existe pas de processus de paix entre Israël et la Palestine ». Cette information « incomplète » et « l’absence de séparation entre les faits et les commentaires » donneraient une mauvaise image du conflit aux Français. Ceux-ci seraient dans le flou total.

Le pouvoir des mots

« C’est un débat passionnel qui empêche toute réflexion », analyse Didier Epelbaum. L’utilisation de certains mots ou des comparaisons maladroites paralysent le débat. On ne peut avoir une vision claire du conflit si personne ne sait de quoi il parle réellement.

La conférence a d’ailleurs été l’illustration parfaite de ce problème de « terminologie ». Un témoin du débat a réagi sur la ségrégation qui s’opèrerait à Jérusalem dans les métros en employant le terme d’ « Apartheid ».  Cette comparaison a entraîné un vif débat entre les intervenants et ceux qui sont venus assister à la conférence. Pour les premiers, aucune comparaison n’est possible avec l’Apartheid car c’est un terme définissant un arsenal juridique précis pour séparer les noirs des blancs en Afrique du Sud. Les militants venus assister à la conférence l’emploient en revanche comme un symbole, censé marquer les esprits. Cette petite polémique au sein de la conférence a eu le mérite de montrer l’influence des mots dans le débat public et leur utilisation parfois impropre.

Une confiscation du conflit par une minorité

Pour Didier Epelbaum, une minorité de personnes se sent concernée par le débat. Cette minorité très active va avoir tendance à « se conforter dans sa position » par le biais d’articles qu’elle peut lire mais aussi « des reportages qu’elle peut trouver dans les différents médias ». « Cela va calmer leur peur, les rassurer ». On fait face à une vision polarisée du conflit où les uns tentent d’imposer leur vérité religieuse qui n’est en fait pas rattachée à la réalité.

L’ancien médiateur de France 2 va même plus loin : « il y a une minorité dans la minorité » qui est très militante et agit souvent par accès de colère. Cette minorité « déforme l’opinion véritable que peut avoir le reste du groupe ». Ce phénomène s’accentue par la propagation de l’information par les réseaux sociaux. Pour Abdelasiem El Difraoui, ces réseaux sociaux permettent un activisme qui fait de la propagande pure. Les gens vont ainsi avoir tendance à privilégier l’information sur internet et à se détourner des médias traditionnels.

Finalement, Didier Epelbaum constate que les français s’intéressent très peu au débat. Selon les récents sondages d’opinion publique, seulement 3 français sur 10 se sentent concernés par le conflit (sondage IFOP 2014). La « confiscation du conflit » alliée à la mauvaise compréhension semble être la clé de ce désintérêt des Français en général.

Relancer le débat grâce au journalisme

Le traitement de l’information par le journaliste est un enjeu déterminant pour la compréhension de chacun. Les intervenants pensent qu’il faut renouveler la façon de faire du journalisme pour relancer le débat.

Pour Abdelasiem El Difraoui, le traitement du conflit israélo-palestinien est un « vrai défi journalistique : il faut éviter de jouer le jeu de la peur ». Il estime que les nouveaux médias sont une opportunité pour avancer le débat : « Nous ne sommes plus obligés de nous adresser à l’audimat lors d’émissions type Envoyé spécial ou le Journal de 20 heures. Il faut créer des marques de journalisme fiables qui relatent le conflit jour après jour en faisant intervenir des personnes qui veulent sortir de leur propagande ». Didier Epelbaum insiste sur la nature du travail du journaliste : « il faut qu’il partage l’information et la décrive de la façon la plus honnête possible ».

Il est 22 heures et la conférence s’achève. Il aura sûrement manqué plusieurs minutes de débat avec le public tant le sujet est vaste et parfois confus. Les courageux ont continué à débattre à la sortie de l’amphithéâtre. Chacun tentait d’exprimer aux invités sa vision du conflit, souvent éloignée de la réalité.

GALPIN Guillaume & MAZARI Pierre-Yann