Une des caractéristiques de nos sociétés numériques peut être le flot : flot continuel de données, de messages, d’alertes push que nous recevons tellement qu’ils ne nous affectent plus. Les informations du monde entier nous parviennent comme faisant partie de notre quotidien : plus de surprise dans ce monde où tout se voit et s’échange. Dans le brouhaha du contemporain, rien ne semble troubler l’usager numérique qui sur la toile se voit offrir un parcours sans embûche. Aussi, la violence ne serait-elle pas la dernière arme pour retenir son attention ? Dernière trouvaille pour se faire remarquer. Ne serions-nous pas entrés dans un monde où la communication se fait par un échange d’informations de qualité à un univers contrôlé par une quête de visibilité où la violence permet de se faire remarquer ? Le violent nouvel héros des espaces numériques : une violence qui ne connait pas de bord politique et qui s’exprime de toute part. Ne serait-elle pas alors une nouvelle figure du politique ?

En 2018, devant le 10 Downing Street, Jez Turner[i] le leader d’extrême droite anglaise propose d’exclure tous les étrangers de son pays. Dans une interview postérieure, il indiquera que son propos était loufoque, qu’il flirtait avec la loi, mais que désormais le but de la politique est de se faire remarquer. Avec la violence, cela devient possible. Si votre propos l’est suffisamment, vous passez d’une centaine d’auditeurs venus assister à votre meeting, aux milliers de retweets. Couronnement de la violence : faire le buzz et avoir comme médaille un hashtag qui vous concerne. Violence qui n’équivaut pas avec l’hubris, mais violence rationnelle.

Cette stratégie de la violence politique n’est pas la seule à exister : l’immolation par le feu de deux jeunes étudiants lyonnais et séquano-dyonisien, en 2019, ont permis de rappeler les autres acteurs de cette monstration violente d’information : Jan Palach en étant l’un des exemples les plus frappants. A quoi sert cette violence politique ? Dans un monde devenu trop plein, poussiéreux, ou plus rien n’attirerait le regard, Ionesco militait pour un théâtre violent : « Pour s’arracher au quotidien, à l’habitude, à la paresse mentale qui nous cache l’étrangeté du monde, il faut recevoir comme un véritable coup de matraque[ii]. » N’a-t-il pas fallu attendre les vidéos insoutenables des vaches à hublot produites par L214 pour qu’un réveil populaire soit lancé. Le mot réveil en lui-même fait remarquer cette volonté de se servir de la violence en politique. La violence serait-elle une réponse à la précarité des voix modernes ? Seul outil communicationnel pour exister ?

Une hésitation existe entre montrer la violence et s’en servir pour communiquer. L’hypothèse n’est pas celle d’une montée en violence de nos sociétés, mais bien plus d’une émotionnalisation du discours politique devenant de plus en plus violent. La violence comme guide de la communication : nouvel agir moderne ?

A cette violence politique répond un silence : silence face à la violence. La violence reste un incommunicable du discours. Elle plonge parfois ces victimes dans l’accommunication face au choc. Les mots de Hollande le soir de l’attentat du Bataclan retransmettent cette difficulté : « une France qui ne se laissera pas impressionner », et donc une France qui doit reprendre la parole. Face à la violence, la communication doit être rétablie.


Vous pouvez retrouver l’article d’Axel Boursier sur chez Hermes : https://hermes.hypotheses.org/4471.

[i] Infiltré dans l’ultradroite. Mon année avec l’alt-right, Arte, 2018.

[ii] Ionesco, E., Notes et contre-notes, Paris, Gallimard, 1966, p. 60.