Le féminisme n’a pas besoin d’étiquette

par | Annie Ernaux | 0 commentaires

Par Frédéric Scarbonchi et Gaétan Raoul

Annie Ernaux, romancière de la condition féminine ? Pourtant, cette étiquette ne lui sied guère.

« Ne lui dites pas qu’elle est féministe ». Voici en substance ce qu’a dit Michèle Bacholle-Boskovic à la tribune : et on dit bien « écrivain », car selon les protagonistes, à l’instar de Simone de Beauvoir, Annie Ernaux refuse la féminisation du mot.

Mais alors pourquoi cette conférence ? Pourquoi ce titre, « féminin, féminisme : au-delà des évidences » ?

Justement car le féminisme n’a pas, ici, vocation à appuyer sur les genres, mais à endiguer la dissociation. Plutôt que l’homme, puis la femme, parlons des deux. Et pas question non plus d’une équité inventée, affublée de néologismes abscons. Moins de dualité, moins de vision genrée, mais l’attrait pour une vision globalisée et globalisante, pour l’individu doué de sensibilité, poursuit l’auteur(e).

Les missions sont nombreuses, et la tâche ardue. Jusqu’à lutter contre ce « il , neutre qui gêne », dira Michèle Bacholle-Boskovic.

Mais aussi jusqu’au refus d’Annie Ernaux de participer à un débat sur l’écriture féminine. Pour ne pas encore classifier la différence des sexes, pour ne plus « genrer » le débat.

Elle a répété d’ailleurs lors du colloque : « On souligne souvent un regard féminin, une littérature féminine. Mais jamais on ne fait cette remarque sur le regard masculin largement présent dans la littérature. »
Si elle n’est pas « militante » d’après Bacholle-Boskovic, elle veut « regarder la domination masculine dans les yeux », souligne Marie-Laure Rossi.

Comment ?

En mettant en scène les stéréotypes sur les femmes, pour mieux les combattre, comme l’analyse l’Américaine Barbara Havercroft dans un parfait français.

Et quand, dans la salle, un homme fait remarquer à l’auteur de « Passion Simple », que la tribune en son honneur n’est composée que de femmes, elle ne comprend pas. « Qu’il n’y ait que des femmes à la tribune devrait poser questions, alors qu’il n’y a que des hommes à la télévision et que ça n’en pose pas ».

Elle précise ensuite que des hommes sont attendus, tout le long du colloque, à la tribune. Et que ces lecteurs sont autant des hommes que des femmes. Pour, une nouvelle fois, demander à ce public d’accéder à « une vision trans-personnelle » selon les termes des chercheurs, de regarder au-delà des évidences, comme le rappelle le titre de la conférence.