Najeeb Alshofe, emprisonné et torturé à Damas quand il avait 24 ans, garde l’espoir. Dans cet immeuble gris pas loin des Halles de Lorient, le salon n’est pas digne d’un magazine de déco. Cet appartement est géré par une association mandatée par l’Etat. Qu’importe l’esthétique des lieux, Najeeb s’apprête à le quitter. Il n’est plus demandeur d’asile, il a reçu une réponse positive et est maintenant autorisé à travailler et vivre en France. 

Ce Syrien de 28 ans partage l’appartement avec plusieurs autres hommes majoritairement afghans. Najeeb leur adresse un sourire courtois mais il garde ses distances « j’utilise mon propre produit vaisselle », confie-t-il d’un air entendu. « Je ne leur dis pas que je viens d’une famille druze » une référence à sa religion, minoritaire en Syrie, et dont on trouve aussi des fidèles au Liban et en Israël. 

Son père, ouvrier à l’usine, a fait parti du Mouvement Nationaliste Arabe. Le gouvernement l’a emprisonné dans les années 70, puis relâché. Bien qu’ils soient souvent en désaccord idéologiquement, sa grande bibliothèque a donné à Najeeb l’amour pour la littérature et les histoires, réelles ou fantasmées. 

Dès 2011, Najeeb travaille dans une radio à Damas. Il y évoque les problématiques sociales des syriens. La radio est proche d’un parti politique Tayyar Syria, un parti de l’opposition.

Les prisons syriennes

Alors qu’il a 24 ans, Najeeb reçoit un mail du directeur de l’université qui le convoque au commissariat. Il est transféré dans la prison d’Adra, au nord-est de Damas. Tous les prisonniers sont mélangés, il n’y a pas uniquement des opposants politiques. Dire que cet endroit est surpeuplé serait un euphémisme. 7000 détenus y sont emprisonnés pour 2500 places (rapport de 2014).

En fixant droit dans les yeux sans détourner le regard, il raconte, sans s’arrêter. Il raconte la torture, il raconte les coups avec un tuyau vert. Plus flexible, il permet de frapper plus longtemps. Najeeb raconte les puces dans la prison, les quarante personnes dans des cellules minuscules. Au tribunal, son chef d’inculpation ? Il fréquente quelqu’un appelé « terroriste ».  Sa famille réunit de l’argent et parvient à le faire sortir.

Si ce grand gaillard se retrouve dans cet appartement lorientais à disposer des figues séchées dans des sachets bioccop et à blaguer sur son embonpoint, c’est parce qu’il a fuit son pays. Depuis, Najeeb est en exil. 

Le trajet de l’exil

Najeeb fuit au Liban. Il y reste un an, et y fait des démarches pour trouver un visa. Là-bas, il y est toujours reporter. Il couvre les problèmes sociaux des réfugiés à Beyrouth. Les réfugiés syriens représentent 20% de la population libanaise. Il réalise aussi des podcasts sur les affaires criminelles.

Najeeb est en contact téléphonique quasi permanent avec Ghias. Exilé de Syrie depuis une vingtaine d’années en Angleterre, cet homme plus âgé est vite devenu le pilier sur lequel il s’appuie. Militant des droits de l’homme en Angleterre, il parvient à trouver une bourse adressée aux journalistes. Quand Najeeb arrive en France en avion en 2019, Ghias agit comme un traducteur d’une culture française parfois difficile à saisir.  Ils ne se sont jamais rencontrés, mais Najeeb l’appelle parfois cinq fois par jour. Il vient d’une famille traditionnelle, où on respecte les codes. Alors certains détails lui échappent. Dans la famille française où il est accueilli à ses débuts à Rochefort-en-terre en Bretagne, parfois un membre se fait un thé et ne lui en propose pas. A-t-il dit ou fait quelque chose de mal ? Non, lui explique Ghias, ça veut juste dire que tu es considéré comme un habitant à part entière de la maison. 

Se projeter dans le futur

Najeeb voudrait que sa fiancée Zaina puisse le rejoindre en France. Ils se sont rencontrés dans l’immeuble où ils travaillaient à Damas. Elle est peintre et y vit encore. Ils étaient amis puis au cours de son exil, ils se sont soutenus par téléphone et sont tombés amoureux. Il essaie de grapiller des infos juridiques ici ou là pour la faire venir en France. Zaina trouve que c’est quelqu’un « d’incroyablement optimiste ».

Najeeb Alshofe déclare comme une évidence : « On ne prend jamais rien de positif de la torture et de la prison. Je ne peux pas transformer ça en positif. C’est impossible. » Malgré son sourire doux, il y aura toujours une part de lui restée là-bas dans la prison d’Adra à Damas. Mais il ne veut pas qu’on le voit comme un énième exilé. Alors il se plonge dans ses projets. Il a déjà commencé à écrire des petites histoires qu’il garde sur son téléphone. « Ces histoires sont inspirées de ma vie, mais c’est imaginé.» Najeeb raffole de Dostoïevski et du révolutionnaire poète et dramaturge égyptien  Naguib Surur. On disait de lui qu’il était impossible de le corrompre. Najeeb Alshore, lui, est avant tout un journaliste fin observateur du monde, et il est déterminé à le montrer.