Boutiques Chéries. « Je recherche le parfum d’antan. » Les doigts de Lili LeBel semblent capturer les fragrances entêtantes d’une autre époque. Dans son atelier, bibelots et rubans en tout genre posent les filaments d’un Paris fantasmé, en miniature.
Ding Dong. Le son d’une clochette, l’éclat d’une sucrerie pétillante au coin d’une vitrine chatoyante. Souvenir gourmand de « bocaux en verre remplis de berlingots, et de bonbons qu’on ne trouve plus aujourd’hui ». Un arôme d’enfance. « C’était dans un emballage ravissant qui représentait la côte d’Azur » se souvient la créatrice. Des Riviera. Le mot glisse sur la langue, délicieusement fondant. Et puis, aussi, il y avait ces marchands ! Ce « monsieur ou cette dame avec une blouse » — espiègle, Lili LeBel prend un air fabuleux, un brin théâtrale — parce que, pour être marchand, pour servir ces mignonnes curiosités dans de petits cornets en papier, « il fallait avoir une blouse ». Le talent d’une conteuse. Mais les contes de fée de Lili — diminutif de Nathalie — sont tissés de bric et de brac. De papier et de résine, et d’une pincée de rêves. Paris ancien, Paris rêvé, aux façades fantasmées faites de papier et d’encre. Une petite fabrique des merveilles. L’œil pétille. Les éclats d’une magie oubliée saisissent notre cœur. Un peu comme une illusion ? « Ah ça ! Je suis la princesse de l’illusion » s’exclame la plasticienne.
Un conte de fée fait de bric et de brac
Pull orangée et écharpe bigarrée, celle-ci tourbillonne dans son petit atelier parisien, à la recherche de quelques ingrédients magiques ; Là, un petit bocal remplis d’intrigantes fleurs bleutées ; ici, quelques bustes de poupées — leurs jolies têtes n’habilleront pas les créations de Lili LeBel. Soie, perles, plumes ou pailles rabougries, la petite pièce aménagée au sous-sol regorge d’objets en tout genre. Semblable à un petit cabinet de curiosités. « Je fais de l’upcycling à ma manière » plaisante la créatrice. Des bouchons en liège de bouteilles de vin trônent sur la devanture d’une appétissante fromagerie tandis que quelques pailles colorent allègrement une adorable boutique de jouets. Au coin d’une étagère, un élégant bandeau de tulle ; la Ballerine de Paris de Nathalie Le Bel se pare des plus beaux atouts : « j’avais acheté du tulle synthétique, comme on en met sur les portières des voitures, mais c’est raide. Je voulais un tutu classique. Il a fallu que j’achète du tulle de soie, beaucoup plus chère, mais qui est beaucoup plus doux, avec un meilleur tombé.»
Derrière, une flopée de dessin. Crayonnés et aquarelles décorent les murs du petit atelier ; les traces de toute une vie. Plus loin, dans un coin, un classeur, contenant les nombreuses aquarelles tapissant l’arrière-plan de chacune de ces boutiques miniatures, translucides, semblant prendre vie à la lumière d’une lampe de chevet. Les illustrations de fond des Boutiques Chéries sont en effet composées d’une matière permettant de générer un effet de lumineux. La nuit, par transparence, l’intérieur de la boutique semble alors éclairé. Enfin, sur la table, une petite boutique encore inachevée, Le Déshabillé de Paris ; Nathalie l’a laissée dénudée pour nous montrer la fabrication. Coquette, aguicheuse, et malicieusement féminine à côté de la gracieuse Ballerine de Paris, un modèle de droiture.
Le glamour à la française
Les Boutiques Chéries sont entièrement artisanales. Des micro-mondes, édition limitée à 100 exemplaires par modèle, signés et numérotés à la main, une petite rareté parisienne, une perle de temps : Seulement 300 boutiques miniatures ont été fabriquées à l’heure actuelle, depuis 2015. La confection est longue, minutieuse. « 300 boutiques, c’est ce que pourrait fabriquer une usine, si le processus pouvait être mécanisé » souligne l’artiste, « mais moi je préfère les faire comme je le fais, moi. À la main. À l’ancienne ». Un sourire malicieux se dessine sur ses lèvres. L’expression d’un savoir faire à la française qui séduit sa clientèle étrangère. C’est pour eux, surtout, que la rêveuse de toujours les fabrique. Si les attentats, les grèves puis la pandémie ont éloigné les touristes de ses créations au sein de la capitale, sur Etsy — une plateforme de vente pour les créateurs indépendants – elles ont leur petit succès. Les vitrines parisiennes de Lili LeBel partent comme des petits pains et s’envolent aux quatre coins du monde. Coréennes, américaines ou japonaises, les étrangères — la clientèle est essentiellement féminine — sont fascinées. Vin, macarons et autres fleurons gourmands des cuisines françaises alimentent leurs fantasmes gustatifs pour 87 euros. Un repas de l’imaginaire, l’utopie tangible d’un Paris sublimé. Le nom de la collection est un doux rappel à cette affection. « Boutique », « Chérie », deux mots aux sonorités familières . « Comme “rendez-vous” et “ho là là” ils évoquent le glamour français », précise Nathalie Le Bel.
Les personnages, quant à eux, sont absents. Pour ne pas briser le fragile enchantement, tout est question de subtilité. Des silhouettes de papier aux personnages modelés, Nathalie Le Bel a tout essayé mais, soudain « la magie s’échappait ». Elle disparaissait. Malin, l’œil humain n’est pas dupe. Complexe, la figure humaine est mystérieuse. Projective. Et le personnage, au final, le héros de cette scène merveilleuse, n’est-ce pas le spectateur ? Chaussé de chaussons de ballerines ou de petits souliers enfantins, celui-ci est aspiré, projeté dans un rôle monté de toutes pièces, s’imaginant héros formidable d’un ballet de casse noisette, ou bambin émerveillé face aux charmes multicolores des friandises, pâtisseries et pâtes de fruits dont les douceurs exquises chatouillent notre rétine. La boutique est nôtre, palpable. L’imaginaire embrasse nos sens. L’illusion est parfaite. Une bulle enchantée, un refuge. Dos à l’oppression de la réalité, un monde minuscule s’offre au spectateur ; dans le creux de sa main, il est maître mais aussi captif des sirènes intemporelles de la miniature. La magie d’un monde d’autan, semble alors suspendue. Un songe d’enfance.
Paris, muse intemporelle
Son inspiration, Lili LeBel la trouve au gré de ses promenades dans la capitale des fantasmes. A Paris, rien ne se ressemble pour qui sait ouvrir l’œil sur les détails d’autrefois. Inspirations précieuses, les ruelles parisiennes foisonnent d’ornementations singulières ; ces ornements à n’en plus finir, ces petits cul-de-lampes qui habillent les lignes orgueilleuses de quelques anciennes façades. De 1880 et ses lampes à gaz, à l’art déco des années 20, en passant par l’art nouveau au début des années 1900, Nathalie Le Bel fouine dans les recoins architecturaux du passé. Le particulier, « ce qui fait le charme individuel de chaque magasin » ; de cette époque, aux aurores de l’ère industrielle où les commerces fleurissaient pour un peu tout et n’importe quoi. « Chaque propriétaire de magasin, avait à cœur de le décorer d’une façon différente de son voisin amenant une grande diversité de formes, de couleurs, de graphismes, de typographies », raconte la plasticienne, « c’était l’époque de la réclame où l’on écrivait sur les façades toutes les vertus de la boutique, les nouveautés, les exclusivités... ». Aux antipodes d’un monde moderne uniformisé.
Jamais réelles, toujours avec une part d’invention, les miniatures de Lili LeBel mêlent réalité et fantasme. Une promenade parisienne, et la nostalgie d’une époque lointaine. C’est « la vielle Europe » ; Europe intemporelle, Europe charmeuse, s’amusant de ses plumes et costumes, de ses mains gantés taquinant les chimères des visiteurs d’ailleurs. La capitale de l’amour est omniprésente dans l’imaginaire collectif, elle fascine les esprits et enchante l’étranger. Parce que Paris, murmure l’amoureuse de l’histoire de l’art, « c’est la plus belle ville du monde ». Le témoignage intemporel d’un autre temps. Au carrefour de la modernité, Paris reste inchangé, pour tout regard vierge. « Ces belles maisons, ces jolis quartiers pittoresques… Quand on va à New York, Dubai, on va voir la nouveauté, les gratte-ciels. Mais quand on va à Paris, on a envie de voir des petites boutiques qui sentent le bon pain chaud, ou qui sentent le parfum, ou qui vendent des vêtements en dentelle. Enfin, que sais-je ! ». Le regard se fait rêveur. « Paris n’a pas d’âge, et c’est ce qui plait aux étrangers. Les parisiens ne sont pas toujours très conscient de ça, ils passent à côté. Ce sont des enfants gâtés, les parisiens. »
Retrouvez également Lili LeBel dans son atelier en vidéo :
Le site officiel des Boutiques Chéries