Alexia F., étudiante guadeloupéenne de 23 ans, était l’une des 150 participantes à la convention citoyenne sur le climat. Officiellement active depuis octobre 2019 jusqu’au mois de juin 2020, celle-ci se poursuit, encore aujourd’hui, en tant qu’association. Alors qu’Emmanuel Macron avait promis d’appliquer la quasi-totalité des propositions, sans filtres, la plupart des propositions ont été édulcorées. A deux semaines d’une ultime confrontation avec le gouvernement, le 28 février 2021, la jeune femme revient sur les coulisses d’une expérience humaine et politique inédite.

1/Comment les participants de la convention citoyenne du climat ont-ils été sélectionnés ? Quels sont, selon vous, les avantages et les inconvénients d’une telle sélection dans le cadre d’une « démocratie participative » ? 

Il y a eu des tirages au sort téléphoniques. Moi, j’ai été tirée au sort via la plateforme DOM, c’est une plateforme qui permet aux étudiants des Outre-mer de venir en France hexagonale pour leurs études. Il y a eu un questionnaire, et ensuite on m’a appelé pour me dire que j’étais sélectionnée. L’avantage, c’est qu’on a été le plus représentatif possible de la population française. L’inconvénient, c’est qu’au début certains ne se sentaient pas concernés par les questions du climat, d’autres n’étaient pas du tout informés. Mais on a su pallier ça grâce aux intervenants de la convention. 

2/Qu’est-ce qui vous a motivée à accepter cette proposition ?  Avez-vous hésité ?

La question climatique, l’écologie. C’est une question qui intéresse particulièrement les jeunes de ma génération. On aimerait changer les choses. Pour nous, c’est essentiel de participer aux décisions qui sont prises.  Je suis originaire de Guadeloupe, une île qui est victime de ce changement climatique : il y a beaucoup de cyclones, de séismes, ce sont des conséquences [du réchauffement climatique]. Il y a une forêt qui est incroyable, à protéger… C’est vraiment important pour moi. Et puis, dans un second temps, la vie citoyenne, les décisions politiques… 

J’étais un petit sceptique au début, je pensais que c’était une arnaque. Le numéro était un peu bizarre, un format de téléphone en +800. Je suis allée sur le site de la convention citoyenne, et j’ai vu effectivement que c’était une initiative du président. Quand j’ai reçu les billets de train pour me rendre au CESE à Paris, là, j’ai vraiment su que c’était quelque chose de sérieux. J’étais un peu réticente aussi, car je n’étais pas du tout professionnelle dans le domaine. J’avais quelques connaissances grâce à ma licence de biologie, mais c’était vraiment très très minime. Quand j’ai vu que je n’étais pas la seule qui avait été tiré au sort, et qu’il y avait 149 autres personnes de tous horizons, ça m’a mise en confiance.

3/Comment la convention citoyenne du climat s’est déroulée exactement ?  

On se voyait une fois par mois, en week-end, au CESE. On faisait nos recherches et on continuait de travailler ensemble même en dehors des week-end. On avait des webinaires, on a eu beaucoup d’informations de la part de nos intervenants. On a été divisé en différents groupes thématiques — se nourrir, se loger, se déplacer, consommer et travailler — déterminés en fonction d’un tirage au sort. J’étais dans le groupe « se nourrir ». J’ai travaillé sur la pêche, l’agriculture, l’écocide, la loi EGalim, et l’éducation.

4/Y a-t-il eu des tensions, des sujets difficiles ? Qu’est-ce qui a été le plus compliqué dans cette méthode de travail collective ?

Trouver un terrain d’entente. On est issu de différents milieux, différentes expériences. Nos avis sont différents. C’est difficile, parfois, d’arriver à un consensus, mais on a su se mettre d’accord. Savoir ce que l’on peut mettre dans la loi, c’était difficile aussi. On n’était pas tous au courant des procédures, mais des juristes [ndr : des intervenants] nous ont aidé. Je citerais aussi la mise en place des propositions. C’est très compliqué que le gouvernement accepte nos propositions.

5/ Vous étiez également dans le groupe « Outre-mer ». Comment a-t-il vu le jour ? Quelles étaient vos actions ?

Ça n’a pas été mis en place directement [par l’Etat], c’est nous, les ultra-marins, qui avons fait la demande, car on se sentait un peu loin des décisions, sans être écarté. On savait que sur nos territoires, certaines propositions ne seraient pas applicables, ou bien que des modifications seraient nécessaires. On se voyait entre midi et deux, entre les week-ends… On prenait en compte toutes les propositions et on adaptait chaque proposition à nos territoires. On avait ainsi la possibilité d’amender nos propositions afin de répondre véritablement aux spécificités des territoires concernés.

6/ Le 10 février, le gouvernement a rendu son projet de loi Climat, revisité. Quel a été votre sentiment, votre réaction ?

Beaucoup de déception. On ne s’attendait pas à ce que toutes nos propositions passent forcément, mais les amoindrir comme ça… La loi climat, on l’a bien analysée, c’est vraiment trop mince par rapport à ce qu’on a proposé. Sachant qu’il y a un objectif de réduction de 40 % des gaz à effet de serre, la loi climat ne répondra pas du tout à l’objectif. Le crime d’écocide par exemple, ce n’est plus un crime qu’ils proposent, mais un délit, pire, on ne retrouve même plus la notion d’écocide : l’atteinte à la diversité. 

Il y a un gros problème au niveau du changement de nos habitudes, et une grosse influence des lobbys qui joue en notre défaveur, et qui, malheureusement, savent que leurs actions ne seront pas bonnes pour le climat. L’économie aussi. Le gouvernement a peur des conséquences du changement. C’est pour ça qu’on a basculé en association pour continuer à pousser, exposer nos idées auprès du parlement, un peu partout. Expliquer nos choix, discuter, transmettre notre expérience au sein de la convention. Nos idées ne passeront peut-être pas dans cette loi climat, mais ce sera pour la suivante. On essaie de rester positif sur la suite. Susciter une prise de conscience au sein du gouvernement. 

7/ Le 27 février, ce sera la dernière réunion des 150. Vous aurez l’opportunité de vous exprimer sur les modifications apportées par le gouvernement. Comment appréhendez-vous cet événement ? 

Je pense qu’on aura pas mal de débat là-dessus, pas mal de chose à dire. Ça va être tumultueux envers les représentants du gouvernement qui seront présents. L’idée [de la convention climat] c’était surtout de donner la parole, plutôt que d’accepter [réellement] les propositions. Mais c’est à double tranchant. En mettant 150 personnes à contribution, ces personnes sont maintenant informées de ce qui se passe. Elles peuvent transmettre ces informations à d’autres citoyens, même si le gouvernement ne veut pas appliquer nos propositions. La population a accès aux informations de la convention, et on espère qu’elle militera, elle aussi, avec nous.

8/ Quel avenir pour la démocratie participative, et quels bénéfices peut-on retirer d’une telle expérience ?

En Guadeloupe, j’aimerais beaucoup pouvoir sensibiliser les autres personnes au fait de prendre part aux décisions politiques. Donner son avis, s’engager pour sa ville, et après pour la France,  aussi. La convention citoyenne a été une très bonne expérience, il faut continuer comme ça pour beaucoup d’autres décisions politiques, pas que l’environnement ; des thématiques économiques, par exemple, comme le pouvoir d’achat, la vie quotidienne… Les politiques sont assez éloignés de ce quotidien. Le fait de remettre les citoyens au centre des décisions, ça permet d’aller vers un bon consensus, et une amélioration de la vie en France. C’est pour ça qu’on a proposé la réforme de CESE, qui a eu lieu très récemment : des citoyens qui sont également tirés au sort, pour prendre part aux décisions.

9/Si c’était à refaire, le referiez-vous ? Quelles ont été les répercussions sur votre vie ?

Oui totalement ! C’est une expérience incroyable, à refaire sans hésiter. J’ai rencontré des personnes incroyables avec qui j’échange encore aujourd’hui. Il y avait une très bonne dynamique de groupe. Il y a une grosse envie de changer les choses. C’était un honneur. C’est vraiment une chance de pouvoir prendre part aux décisions politiques avec un sujet qui me tient à cœur. J’ai pris conscience de ce qui m’entourait, de l’environnement, de notre influence. Ça nous a enrichis. Dans mon quotidien, j’ai changé pas mal d’habitudes : en rentrant en Guadeloupe, lors du confinement, j’ai décidé de me lancer dans le jardinage. En Guadeloupe, on a quelque chose qui s’appelle le jardin créole : on produit à côté de notre maison des fruits et des légumes de notre île, avec des plantes médicinales. Puis, dans ma vie d’étudiante, j’ai décidé de réduire mes déchets au maximum. J’évite l’utilisation du plastique, je vais au marché pour acheter des fruits et des légumes de saison, j’utilise les transports en commun… Cette expérience a énormément changé ma façon de penser sur la politique. Au début, je me sentais à l’écart, un peu, de tout ce qui se passe à Paris au niveau des décisions politiques. Là, je me suis vraiment sentie au cœur des décisions sur la transition.