PORTRAIT – Le président du tribunal judiciaire du Havre, Thierry Cellier, a été nommé chevalier de l’ordre national du mérite le 1er janvier 2021. Le couronnement d’un parcours, riche et tourné vers autrui.  

La rigueur du verbe choisi lui tient à cœur. Thierry Cellier, 61 ans, costume-cravate, président du tribunal judiciaire du Havre, une voix pondérée, a de la concurrence. Une insatiable perceuse sévit de l’autre côté de la porte. Il poursuit, imperturbable. Ses mots trouvent leur chemin dans le dédale du vacarme ambiant. Dans son dos, une représentation de la baie de Sainte-Adresse du peintre havrais Raoul Dufy vient coiffer la pièce. Une note de couleur presque orpheline dans ce bureau d’une sobriété éloquente. Sur sa nomination au grade de chevalier de l’ordre national du mérite, il nuance : « Ça me fait plaisir. Mais pour moi, ce n’est pas l’essentiel. L’essentiel, c’est le quotidien, c’est l’engagement, c’est le respect de soi et de ses valeurs. » 

« Un bon sens terrien »

Président de tribunal de grande instance par trois fois, à Moulins de 2012 à 2015, à Nevers jusqu’en 2018, puis au Havre, devenu tribunal judiciaire en 2020 en vertu de la loi de programmation et de réforme de la justice, Thierry Cellier a fondé son parcours sur l’écoute et le service du justiciable. Il revendique un « bon sens terrien » hérité de son enfance en Lozère. Son père, agriculteur, lui répétait que « la véritable profondeur ou qualité d’une personne se mesure à la façon dont cette personne traite les petites gens. » Cette maxime ne le quittera plus.

La robe ne s’est pas imposée de fait. Âgé de 25 ans, il vient à Paris par « souhait de travailler, d’avoir un emploi, d’être indépendant. » D’abord guichetier aux Poste et Télégraphe, c’est au travers du « hasard des rencontres » – notamment une amitié avec le vaguemestre de Paris X – qu’il embrasse, sur le tard, une carrière juridique. Passé par l’école nationale de magistrature après une licence de droit à Nanterre, Thierry Cellier appréhende, pendant près de vingt ans, « à peu près toutes les fonctions du quotidien » d’un juge.  

L’engagement comme gouvernail

Une affaire reste gravée dans sa mémoire. L’histoire remonte à 1993. Un médecin, Geneviève Pasquier, installée dans le Puy-de-Dôme, est assassinée par un de ses patients. Il se remémore. Sa voix ralentit. Les silences entre chaque phrase se font longs, presque lourds. Assesseur lors du procès, tenu en 1995, Thierry Cellier revit la scène : « Il est revenu dans la salle. Elle lui a dit : ‘qu’est-ce que vous faites là monsieur ?’ Il l’a regardée et lui a dit : ‘je suis venu vous tuer.’ La froideur. La froideur de l’acte m’a profondément marquée. »

Malgré l’effroi, il retiendra par-dessus tout l’ « engagement de cette formidable professionnelle ». « Ça [cette affaire] a conforté quelque chose que je pense depuis le départ : le ciment d’une société se construit sur tout le monde. » Il double la formule, comme un clin d’œil à la situation actuelle, mais aussi comme un hommage à tous ceux à qui il a dédié, et dédie encore, sa vie.

Une intime conviction  

Trois idéaux guident le président du tribunal judiciaire du Havre : proximité avec le justiciable, sens du service public de la justice, souci des personnels. Il assure néanmoins de son propre chef : « Ce n’est pas parce que vous êtes guidés par des valeurs profondes que vous arrivez forcément à les mettre en place et à les faire partager […] dire qu’on a mis en place quelque part une justice de proximité avec les gens, humaine et conforme avec ce qu’on pense au fond de soi, c’est très prétentieux. Si j’y suis arrivé à 30 ou 40% ce serait déjà bien. »

La philosophie, une de ses passions, l’épaule au quotidien. « Moi ça m’a aidé quand il y a eu des décisions très importantes à prendre dans le cadre de la loi programmation de la justice. Comment intégrer l’ensemble des personnels ? Comment agir afin que personne ne reste sur le bord du chemin ? » confie-t-il.

Il affirme que son rôle est de « rester humble et à l’écoute, d’être au courant de tout, de rester maître de lui-même, et de ne pas laisser poindre le moindre énervement. » Dans la foulée, il convoque avec parcimonie le philosophe français Vladimir Jankélévitch, qui disait sur ; seule option pour l’homme de robe, qui martèle l’importance de la « valeur travail », s’approcher un peu plus de son idéal de justice.