La Communauté est une enquête de Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, parue le 3 janvier 2018 aux éditions Albin Michel.
Ces dernières sont journalistes et reporters au journal Le Monde. Elles ont remporté le premier Prix littéraire Hervé Ghesquière pour cet ouvrage. La Communauté est leur troisième œuvre en collaboration. Elles ont effectivement cosigné en 2007 La Femme fatale, puis Les Strauss-Kahn en 2012.
La Communauté retrace l’évolution historique de Trappes et la manière dont cette ville des Yvelines est devenue une véritable communauté. Des années 1960 à 2017, la population de Trappes s’est transformée. Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin soulignent la transition entre une génération recherchant la discrétion et l’intégration et une autre prise entre chômage, délinquance et radicalisation religieuse. Au fil des pages, la ville moderne destinée à accueillir la main d’œuvre ouvrière étrangère des Trente Glorieuses se transforme en une ville abandonnée de tous au sein de laquelle se développe une communauté fermée sur elle-même. Cette enquête sociologique et historique m’a fortement intéressée. La combinaison entre travail journalistique et écriture narrative m’a permis d’avoir une approche réaliste du sujet, mais aussi de m’impliquer émotionnellement dans l’enquête.
En effet, les auteures commencent leur essai presque comme un roman. Nous sommes plongés directement dans l’action. A Trappes, en 1990, des jeunes courent et sautent entre les lignes de chemin de fer «pour briller devant les filles et tromper la mort».
Leur course folle est stoppée par un train lancé à pleine vitesse. Bilan : un mort et un blessé. Nous apprenons rapidement que le survivant est Jamel Debbouze, quatorze ans, enfant de Trappes et habitué de la Place des Merisiers. Forcément, avec une entrée aussi fracassante dans l’enquête, j’ai été directement captivée par le récit. Dans les premiers chapitres, les journalistes appuient sur quelques célébrités issues de Trappes, comme Jamel Debbouze, Omar Sy ou encore Nicolas Anelka. Ces zooms s’attardant sur l’enfance, l’intimité et le quotidien de ces stars en devenir ont permis de capter mon attention. Mais ils permettent aussi d’illustrer la réalité de Trappes et donc d’adopter un regard sociologique.
Après cette approche émotionnelle et personnelle, j’ai découvert, dès le chapitre 3, le contexte politique de Trappes des années 1960 aux années 1980. L’approche historique des auteures est assez décousue, les événements n’apparaissent pas dans l’ordre chronologique, mais la logique du récit m’a semblé bonne et m’a donné l’impression de ne pas lire la page Wikipédia de la ville de Trappes. Le regard des deux auteures sur les communistes à la tête de Trappes est juste et transparent. Au fil de ma lecture, l’objectivité et la bienveillance de Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin m’ont permis d’entrevoir le basculement de Trappes dans le fondamentalisme religieux. Évidemment, j’ai trouvé le constat des deux journalistes préoccupant mais elles ne tombent pas dans le sensationnalisme et la recherche du scandale.
En effet, j’ai apprécié qu’elles mettent aussi en avant des figures trappistes qui tentent de rétablir une paix sociale et une certaine rationalité au sein de la communauté. Par exemple, le rôle de l’islamologue Rachid Benzine est central au sein de plusieurs chapitres. Il vient contraster avec les autres protagonistes, il prône une lecture tolérante du Coran. J’ai trouvé son portrait particulièrement intéressant et perspicace dans le cours de l’enquête. La Communauté m’a permis de voir d’un nouvel œil la population cosmopolite de Trappes. Les auteures nous font traverser tous les événements majeurs qui ont bouleversé à jamais le paysage politique et social de cette ville des Yvelines : la crise économique, le développement de l’antisémitisme, la question du voile dans l’espace public, la disparition du Parti communiste, les attentats de Charlie Hebdo… Les émotions et sentiments des différents protagonistes sont bien retranscrits et permettent d’adopter un regard bienveillant et compréhensif. D’ailleurs, certains pourront peut-être trouver que les mots utilisés ne sont pas assez durs et que les deux journalistes n’appuient pas sur ce qui fait mal.
J’ai été particulièrement captivée par l’histoire de Sihem (19 ans et jeune maman), Bilal (22ans et mari de Sihem), Fayçal (18 ans et étudiant en économie) et Mansour (en CDD chez Métro). Ils décident de partir tous les quatre en voiture à Gazantiep, ville turque, porte d’entrée de la Syrie, mais sont stoppés par un accident de circulation. Ils sont fascinés par des membres de leur entourage partis en Syrie faire le djihad. Leurs portraits sont dressés avec beaucoup de détails, les deux journalistes m’ont donné l’impression de connaître ces jeunes adultes et m’ont permis de comprendre un peu mieux leurs motivations. Leur périple est raconté comme dans un roman et m’a beaucoup intéressé.
Au delà d’une enquête, ce chapitre relate un témoignage, une histoire personnelle. Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin ont donc réussi à me tenir captiver tout au long des 330 pages de leur enquête. L’alternance entre histoire personnelles et travail historique et sociologique est très bien menée. Plus qu’une simple enquête journalistique, j’ai parfois eu l’impression de lire un roman. Leur travail journalistique sérieux m’a permis de découvrir de nombreux détails sur Trappes et ses habitants.
C’est une enquête journalistique que je recommande à tous !